samedi 14 novembre 2009

Du lecteur

"Le règne du chiffre a supplanté celui de la lettre. Demeurer lettré au sein d'un monde prosterné devant le nombre est une des rares modalités de l'insoumission. La liberté, c'est celle aussi de se choisir des maîtres par delà l'espace et le temps."(Christophe van Rossom, "Savoir de guerre")


"La forêt fraîche et sombre m’a happée de nouveau
Dans ma nuit, enfoncée, dans le gouffre, le saut."
(...)
"J’ai mon glaive bien en main, rien ne m’atteindra.
La bête est énorme, luisante et noire, l’œil fou."(1)


Je voudrais revenir sur la notion de Lecteur.
J'ai une idée très élevée de cette action : lire des livres. Plus encore que l'Ecrivain qui écrit, j'estime que lire un livre est un combat, une lutte, la seule qui vaille la peine d'être vécue pour l'homme sur cette bonne vieille terre : une lutte existentielle.

"Le roman accompagne l'homme constamment et fidèlement dès le début des Temps modernes. La "passion de connaître" (celle que Husserl considère comme l'essence de la spiritualité européenne) s'est alors emparée de lui pour qu'il scrute la vie concrète de l'homme et la protège contre "l'oubli de l'être"; pour qu'il tienne "le monde de la vie" sous un éclairage perpétuel. C'est en ce sens-là que je comprends et partage l'obstination avec laquelle Hermann Broch répétait : Découvrir ce que seul un roman peut découvrir, c'est la seule raison d'être d'un roman. Le roman qui ne découvre pas une portion jusqu'alors inconnue de l'existence est immoral.La connaissance est la seule morale du roman."(2)

C'est l'idée et la raison d'être de ce ridicule blog, de cet atome qui n'a même pas explosé... remettre des balles dans mon chargeur, avais-je écrit en créant cette structure. Témoigner de l'acte éminent que représente la lecture.Lire pour vivre, survivre, lutter contre "l'oubli de l'être" qui envahit nos âmes et tout notre univers.

Je passe beaucoup de temps à lire, donc. Souvent c'est une balle que je tire sans savoir si elle va atteindre son but.Quelqu'un d'éminent m'avait donné comme titre : "tireur d'élite", mais je comprends à présent qu'il s'agit plus d'une responsabilité que d'un honneur ou une gloire. Le tireur d'élite n'a droit qu'à un seul tir et il doit faire mouche.Bon, il y a encore des progrès à faire, à dire vrai... Mais j'ai d'excellents maîtres : des écrivains morts depuis longtemps et des écrivains vivants aussi.

"La quête du moi a toujours fini et finira toujours par un paradoxal échec."(3)

La difficulté n'est pas tant de lire que d'assumer ce que l'on lit.Beaucoup ont des réactions de rejet devant leurs lectures car le livre renvoie dans la tronche de ceux qui lisent leurs propres manquements, leurs faiblesses, leurs abîmes. Et il faut savoir les affronter. Cet "oubli de l'être", ce "moi" qui est la finalité du roman selon Kundera, qui a vraiment envie d'en dessiner les contours précis? Qui souhaite vraiment soulever la dalle du langage?(4) Qui désire descendre dans la cave rencontrer la bête immonde?(5)

Lire, c'est prendre à bras le corps cette vie qui nous est donnée et aller au bout de ses actes, de sa contemplation, de sa prière.
Ne pas craindre de traverser les épreuves, l'enfer, ne pas avoir peur de mourir à soi pour naître à soi et vivre pour de bon. Ne pas demeurer un mort-vivant. Devenir un saint.
C'est la seule alternative qui nous est donnée sur cette bonne vieille terre.
"Si quelqu'un m'aime, qu'il prenne ma croix et qu'il me suive." (la croix, ce "paradoxal échec!")
Parce que : "Je suis le Chemin, la Vérité, la Vie".

Notes :
1/ un poème que j'ai écrit : "Philosopher", ici : http://oralaboraetlege.blogspot.com/2009/07/philosopher.html
2/ L'art du roman, de Milan Kundera.
3/L'art du roman, de Milan Kundera.
4/ Expression donnée par un ami, très grand lecteur de Bloy.
5/ Allusion à ce passage dans le texte d'XP sur Ilys : http://ilikeyourstyle.net/2009/11/13/michel-3/
"Je suis tombé dans les escaliers pour atterrir sur la porte de la bibliothèque du maître, à la cave. Sur le seuil, j’ai vu le monstre. La bête qui hantait Lovecraft était là, comme si elle gardait la pièce."





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